L’invention de Pierre Jean a bouleversé le transport maritime du gaz, la plupart des méthaniers modernes étant fabriqués selon les principes qu’il a développés. Sa grande innovation a consisté à abandonner les cuves cylindriques en forme de grosses bonbonnes réalisées dans un acier de 8 centimètres d’épaisseur, au profit des cales. Ce qui a permis d’augmenter la capacité de navires de 25.000 m3 à 160.000 m3 aujourd’hui. Le petit monde des architectes navals croyait le projet impossible. « Le principe était de faire ce qu’on avait fait dans le pétrole. Transporter le gaz liquide en vrac, dans les cales plutôt que dans les barils », explique Pierre Jean, l’ingénieur à l’origine de cette invention. Une idée simple qui semblait pourtant impossible à mettre en oeuvre, car l’acier des cales de navire ne résiste pas à la température de -163 degrés à laquelle est transporté le gaz liquéfié. Jeune architecte naval, Pierre Jean a alors conçu deux systèmes encore utilisés aujourd’hui. • Le premier sert à isoler la coque du froid intense. Il s’agit d’une paroi, réalisée à partir d’une structure de bois alvéolé associé à un produit isolant. • Restait le souci de l’étanchéité du navire. Le plus complexe. Pierre Jean a utilisé une approche totalement révolutionnaire, faisant appel à un simple film étanche de 0,5 millimètre en Invar, un alliage ferro-nickel qui présente l’étonnante propriété mécanique d’être quasiment insensible aux variations de température. Encore fallait-il que ce mince film ne se déchire pas. L’ingénieur a alors imaginé de placer des soufflets à intervalles réguliers afin que la fine membrane épouse le relief mouvant de la cale. « Car les gens sont loin d’imaginer qu’un bateau est vivant et que sa structure n’arrête pas de se déformer sous l’effet du tangage, du roulis et du poids de la cargaison », précise Pierre Jean.
Son invention fut adoptée pour la construction de deux méthaniers destinés à transporter le gaz de l’Alaska au Japon. « J’étais le petit Gaulois au milieu des géants venus du Japon, des Etats-Unis, de Suède. J’ai planché pendant trois semaines pour convaincre de la qualité de mon projet », se souvient Pierre Jean, qui a ensuite cofondé une entreprise baptisée Gaztransport. Pendant quelques années, malgré la supériorité de la technique française, les étrangers, notamment suédois, prennent l’essentiel des marchés. Les pouvoirs publics poussent à la fusion avec Technigaz, un concurrent français possesseur d’une technologie alternative. Un des derniers brevets de l’entreprise de Pierre Jean (détenue aujourd’hui par Gaz de France, Total et l’italien Saipem) fut de regrouper les deux technologies. Elle est d’ailleurs utilisée sous licence sur le « Gaz de France Energy », le tout dernier méthanier construit par Alstom Marine à Saint-Nazaire.