Portrait de Lauréat
Prix Spécial 2016

Bernard Maitenaz « Pour la révolution des verres correcteurs »

Bernard Maitenaz est depuis l’origine du prix un inestimable soutien, empreint de bienveillance et de sagesse. Il est pourtant un des plus illustre représentant des ingénieurs- inventeurs ayant révolutionné leur secteur. Ecoutons le :

« En 1947, lorsque je poursuivais mes études d’ingénieur à l’Institut d’Optique de Paris, j’ai réalisé combien l’œil était un organe merveilleux et méconnu. Comme tous les organes du corps, son fonctionnement nous paraît normal, mais il est rare que l’on prenne conscience de ses performances.

Réfléchissons une minute : Il permet de voir latéralement et verticalement

sur près de 180°, d’apprécier des nuances de couleurs à l’infini, de s’adapter à la lumière éblouissante d’un plein soleil ou à celle d’une bougie…

Dotés de deux yeux, nous percevons le relief, et, tout en gardant une vue périphérique globale, nous pouvons saisir un détail dans le champ visuel, de loin comme de près, et le suivre dans l’espace, sans discontinuité… ! Quelle merveille !

Mais l’œil a un petit défaut, il vieillit, et à partir de 45 ans, le cristallin ne permet plus une accommodation suffisante, la lecture de près devient difficile, et les bras semblent trop courts… Prenant conscience de ces performances remarquables, j’ai réalisé alors combien étaient « primitifs

» les moyens utilisés pour compenser la faiblesse du cristallin (la presbytie) : on utilisait des verres à double-foyer… !En fait, pour compenser la baisse de cette merveilleuse fonction, souple et continue, on avait recours à un moyen optiquement brutal, les double-foyers, qui, en plein centre du champ visuel, cassaient l’image avec leur petite fenêtre, et créaient un «espace flou » entre les objets proches et les objets lointains ».

Son invention du verre progressif a fini par reléguer aux oubliettes de l’optique les « doubles foyers » qui ont effrayé des générations de petits enfants… Double foyer, parce que double focale, et donc double correction, l’une pour la myopie (vision de loin altérée) et l’autre pour la presbytie (vision de près).

Tout cela a commencé voilà un demi-siècle grâce à l’opiniâtreté de Bernard Maitenaz. Il a dû faire preuve de persévérance pour imposer son idée. « Je faisais et refaisais mes calculs chez moi, le soir, explique-t-il, en plus de mes journées de travail.» Sa femme se souvient des soirées où son mari, règle à calcul à la main, notait les coordonnées x,y,z de milliers de points définissant la surface complexe de la lentille hors norme, qu’il dictait le lendemain à un ouvrier taillant la surface du verre pour réaliser les prototypes. Nous sommes dans les années 1950 et Bernard Maitenaz a suivi la route tracée par son grand-père et son père dans une coopérative, la Société des lunetiers. C’est d’ailleurs, peut-être, grâce à cette passion familiale que Bernard Maitenaz s’est obstiné dans son idée.

« Mon père fut le premier “testeur” de mon invention, explique Bernard Maitenaz. Il n’a jamais cessé de m’encourager, alors que je pense qu’il a dû souffrir lorsque j’effectuais grâce à lui tous les calculs nécessaires.» Le jeune diplômé de l’École supérieure d’optique mènera donc victorieusement son combat contre les lunettes à double foyer. Mais il lui faut mener de front plusieurs batailles.

La plus importante sera évidemment technique : il doit réussir la mise au point industrielle de son invention et se heurte aux dogmes de l’école optique dominée par les opticiens allemands qui ne juraient que par la parfait sphéricité des lentilles.

Et relever le défi des idées reçues, car, à cette époque, personne ne veut imaginer d’autres solutions que les lunettes à double foyer, ni même leurs implications commerciales. Il travaillera donc seul et déposera son premier brevet en 1953. Le succès arrivera bien plus tard, grâce à la commercialisation du premier verre minéral, en 1959.

Avec acharnement, Bernard Maitenaz mettra au point la technique du surfaçage. Les verres devaient être polis sans être déformés. L’apparition des verres organiques, qui rendra cette production plus aisée, sera décisive. « Le public n’attendait pas cette offre, se souvient l’inventeur, cela n’a pas démarré tout de suite…». Mais, en dépit des difficultés, Bernard Maitenaz qui, juste retour des choses, a occupé des fonctions de président d’Essilor à partir de 1980, pendant onze ans, n’a jamais baissé les bras, même si les périodes de doutes ont été nombreuses. Il a fallu cinq bonnes années pour que l’entreprise qui allait prendre le nom d’Essilor en 1972 lui confie officiellement cette étude. Les améliorations se succédant, Varilux en est à sa sixième génération de verres progressifs. Un succès d’un autre siècle pour une entreprise bien déterminée à s’ancrer dans le futur, malheureusement tombée entre les mains de son concurrent italien Luxottica.

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