Portrait de Lauréat
2018

Sacha Loiseau : de l’astronomie à l’exploration endoscopique

Sa lettre de présentation au Prix Marius Lavet exprime mieux que tout autre exposé le parcours remarquable de Sacha Loiseau :

Je suis fils, petit-fils et frère d’entrepreneurs. Mon grand-père maternel, Sacha Schneider, est arrivé de Bucovine (Empire Austro-

Hongrois) en France vers le début des années 30 et a très rapidement, avec son frère, créé une entreprise de radio sous le nom de Schneider Frères. Plus tard, revenant de plusieurs années de résistance et après avoir perdu leur société pendant la guerre, la société devient un immense succès sous le nom de Schneider Radio- Télévisions puis Schneider-Laden. Après la mort prématurée de mon grand-père, avant ma naissance et ce qui explique que je porte son prénom, la société a été vendue à Philips. Anecdote intéressante, la marque Schneider a été rachetée par deux entrepreneurs et est aujourd’hui bien vivante : on peut trouver sur leur site l’histoire de mon grand-père et de son frère Jacques : http://www.schneiderconsumer.com/fr/content/8-notre-histoire J’ai vécu avec l’image de ce grand-père, très grand entrepreneur, toute ma jeunesse et si j’ai eu très tôt la passion des sciences, j’ai aussi rapidement su que je voulais créer une société. Je suis rentré en classe prépa après le bac sans vraiment savoir ce qui m’attendait. J’avais 2 ans d’avance et je n’étais pas prêt à travailler de façon si intensive mais je me suis accroché et j’ai intégré l’X en 89. Pendant l’année de service militaire, j’ai réussi à faire un stage dans les services de santé des armées, où j’ai en particulier retrouvé le neurochirurgien qui avait opéré ma mère au Val de Grâce et qui m’a fait forte impression, m’initiant à certaines technologies médicales fascinantes. A l’X, j’ai suivi le plus de cours possible sur la physique et l’astrophysique qui était clairement ma passion depuis l’adolescence. En sortant, j’ai fait le DEA d’Astrophysique et Techniques Spatiales de l’Observatoire de Meudon sous la direction de Pierre Léna, qui allait devenir un de mes directeurs de thèse et une personne très importante pour la suite. Grâce à lui, j’ai pu effectuer une thèse passionnante sur des techniques nouvelles d’observations entre le CNES, l’Observatoire de Meudon, le Jet Propulsion Laboratory de la NASA et le Harvard Center for Astrophysics. A la fin de ma thèse, Pierre m’a proposé, en marge de la fin de mon travail de recherche, de créer un groupe de réflexion sur l’utilisation de technologies d’observation comme l’optique adaptative, à l’imagerie très haute résolution de la rétine. J’ai tout de suite sauté sur l’occasion et je me suis mis à interagir avec quelques médecins et physiciens, tout en repartant travailler au JPL en Californie. Vers le début 1999, le projet était encore balbutiant mais de plus en plus d’amis à moi passaient me voir à Los Angeles avec des des projets de création d’entreprise et j’ai décidé de rentrer en France. Incidemment, depuis la tuerie de Colulmbine High School, j’avais décidé de ne plus habiter dans ce pays où j’avais passé une grande partie de ma vie donc tout tombait plutôt bien. Avec mon associé d’alors, nous avons postulé pour le premier Concours d’Aide à la Création d’Entreprises Innovantes et nous avons gagné, premier prix d’une longue série : Lauréat de la Fondation Aventis, Lauréat national du 2ème Concours d’Aide à la Création d’Entreprises Innovantes en 2000, etc. A ce moment-là, j’ai l’idée d’aller chercher un grand universitaire spécialisé en traitement d’images médicales, Nicholas Ayache, car je sens que nous aurons besoin de ses compétences et de sa réputation. Il accepte et s’associe avec nous pour créer la société. J’invite Pierre Léna à se joindre à nous, ce qu’il accepte.

En 2000, alors que nous n’avions rien de plus que quelques schémas et un business plan très prospectif, un accord de licence avec l’INSERM et l’université Paris 7, nous avons su convaincre des investisseurs et nous avons pu démarrer réellement l’aventure en nous installant au 9 rue d’Enghien, où nous sommes toujours, et en embauchant les premiers collaborateurs. La première décision que je prends est d’embaucher des ingénieurs et docteurs d’horizons et de spécialités très différents car l’innovation que nous recherchons – l’endomicroscopie confocale par laser – ne pourra se produire que dans ces conditions. La recherche démarre et nous nous rendons rapidement compte que les premières idées celles d’ailleurs couchées dans le premier brevet de l’INSERM – n’aboutirons pas à un produit viable. Nous pivotons donc une première fois et partons sur une nouvelle architecture technologique, qui s’avèrera être la bonne. L’équipe s’étoffe et les talents s’accumulent, tant du coté hardware que software. L’idée maîtresse est de pouvoir réaliser une image confocale point à point à travers un toron de fibres optiques faiblement multimodales, ce qui semble a priori un choix contre nature. Mais pourtant, ces choix technologiques contre-intuitifs semblent selon nous les meilleurs pour réaliser notre idée : permettre au médecin et au chirurgien la visualisation au niveau microscopique des tissus à une cadence vidéo, en profondeur et sans changer les pratiques, c’est-à-dire avec un niveau de miniaturisation très important, de l’ordre de 1 à 2,8mm. Personne n’y croit vraiment : les défis s’accumulent mais, ne voyant pas de verrous technologiques insurmontables, je continue à dire que c’est possible et, grâce au talent de mes équipes et au leadership scientifique de François Lacombe, nous y arrivons après 18 à 24 mois : le Cellvizio est né !

Les innovations technologiques qui ont permis à la plateforme Cellvizio de naître sont multiples et tiennent au design mais aussi aux méthodes. La vision multidisciplinaire que j’ai imposée dès le début a permis un savant mélange d’algorithmes et de design opto-électronique, se concrétisant tous les jours par des films à la résolution microscopique et de très haute qualité : voir des globules rouges filer dans des micro- capillaires d’un réseau vasculaire dans un kyste du pancréas ou dans une muqueuse inflammatoire du côlon reste un moment magique et qui provoque l’incrédulité. Le fil conducteur de ces premières années sera finalement le même que les suivantes : c’est surtout un fil du rasoir ! La société est toujours au bord du gouffre financier et / ou technologique mais s’en sort toujours et s’en sort même bien. Au fil du temps, nous convainquons des investisseurs français puis surtout américains, et cela grâce bien sûr à une force de conviction et une passion sans doute hors- du commun mais aussi parce que la technologie est excellente et ses applications pertinentes et nombreuses.

En effet, grâce à cette « biopsie optique » que réalise le Cellvizio, ce sont à la fois des améliorations notables sur le soin du patient qui sont apportées mais aussi une réduction importante des coûts de santé, grâce à l’élimination de procédures inutiles et délétères pour les patients. La société passe donc par plusieurs phases : développement technologique et produit, développement clinique puis un premier développement commercial semé d’embûches qui s’avèrera trop précoce et qui coûtera beaucoup en énergie, en argent et en crédibilité. Durant ces années souvent difficiles, la résilience fut sans aucun doute la qualité première et la certitude de la pertinence de la technologie, sans cesse prouvée par de nouveaux essais cliniques ou des avancées dans son adoption.

Aujourd’hui, le Cellvizio est installé dans près de 600 hôpitaux, cliniques et instituts de recherche. Il est protégé par plus de 40 familles de brevets. Son utilisation dans différentes parties du corps humain a fait l’objet de 13 autorisations réglementaires par la Food and Drug Administration aux Etats-Unis, de plusieurs marquages CE, d’accords réglementaires en Chine, au Japon, en Russie, au Brésil, en Turquie, etc. Le nombre de publications scientifiques et cliniques sur l’endomicroscopie est proche de 1000 aujourd’hui dont une vaste majorité autour du Cellvizio !

L’utilisation du Cellvizio pour les patients souffrant de troubles gastriques ou oesophagiens est recommandée par plusieurs sociétés savantes aux Etats-Unis et a reçu un avis favorable de la Haute Autorité de Santé (mais toujours pas de remboursement en France). Plus de 35 000 procédures ont été réalisées avec le Cellvizio et un chiffre d’affaires cumulé de plus de €50 millions a été généré.

Mauna Kea Technologies a vécu déjà plusieurs vies et sans doute moi aussi. Ma passion est aussi forte qu’au premier jour. Je pense à mon grand-père qui était un « mensch » et j’espère avoir montré que j’en

suis peut-être un. J’ai appliqué professionnellement les principes que j’ai reçus de mes parents et, même si tout ne s’est pas passé comme prévu ni comme je le souhaiterais bien évidemment, je crois n’en avoir jamais dévié. Je suis fier de pouvoir raconter tout cela petit à petit à mes enfants grandissant.

Ma devise d’entrepreneur reste sans aucun doute « Winners never quit and quitters never win ».

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