Publié le 3 avril 2024

Des ingénieurs plus proches des politiques pour l’avenir

Un Livre Blanc de la Société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) publié en 2021 (1) regrettait la fréquente remise en cause de la légitimité et de l’autorité de la science et des scientifiques par une minorité « extrêmement active sur les réseaux sociaux et les médias conduisant à une assez large défiance dans la population vis-à-vis du progrès technologique ».
Il était ensuite mentionné que l’Assemblée nationale comprenait seulement 34 ingénieurs et 34 docteurs (hors domaine médical), parmi 408 députés diplômés de l’enseignement supérieur.
Ces observations nous incitent à nous interroger sur le besoin de renforcer les liens entre politiques et ingénieurs pour construire la société de l’avenir, sur les obstacles à un tel rapprochement, sur les solutions possibles. Proposons quelques réponses, appuyées sur différentes sources.
Par atavisme, le politique et l’ingénieur traitent des problèmes suivant des approches différentes.

Le premier cherche avant tout une solution psychologiquement acceptable pour les personnes concernées, dont le résultat soit ressenti par celles-ci comme satisfaisant ; et il agit le plus souvent dans l’instant : j’ai retenu de mes souvenirs professionnels (2) qu’une aptitude représentative d’un dirigeant politique de haut niveau était sa capacité à tirer parti d’informations immédiates. Le second utilise aussi rationnellement que possible, en prenant le temps nécessaire, des connaissances notamment scientifiques pour aboutir avec réalisme à un effet objectif, souvent à plus long terme : par exemple le pont édifié doit tenir dans la durée.
Ces compétences doivent être combinées pour construire des réponses pérennes à des situations où les éléments techniques et les comportements interagissent étroitement, tandis que les préoccupations du moment prédominent souvent. A titre d’illustration, citons un rapport d’IESF paru en 2017 (3) : « on peut estimer que les ingénieurs ont une responsabilité sociale collective. Il s’agit de fournir les outils appropriés pour que les machines, de plus en plus autonomes, répondent à la volonté de l’homme qui, dans nos démocraties, doit être la volonté éclairée du plus grand nombre. »
Or, paradoxalement, les ingénieurs sont sans doute moins écoutés que par le passé parce que leur travail efficace a contribué à réduire les incertitudes techniques. On ne se demande plus si un avion de ligne nouveau volera convenablement, mais on s’inquiète du succès commercial. J’écrivais il y a quelques années (4) : « De même qu’un bon moteur se fait oublier du conducteur de la voiture qu’il propulse, les ingénieurs sont moins admirés, et d’autant plus banalisés que leur nombre s’est largement accru. » Par ailleurs, dans un environnement où la communication est omniprésente, beaucoup d’ingénieurs hésitent à exprimer des positions parce qu’ils ont conscience de leurs limites, ou bien se font difficilement comprendre par excès de précautions et de précisions techniques. Ce sont les experts en formulations percutantes, plus ou moins exactes, qui tiennent le haut du pavé.
Alors, que faire ? De nombreuses recommandations ont été formulées. A cet égard, deux propositions du Livre Blanc mentionné en introduction me semblent particulièrement intéressantes : amplifier le rôle de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques ainsi que son recours aux compétences scientifiques et industrielles ; instituer des formations d’accompagnement en sciences politiques des ingénieurs et des scientifiques pour les aider et les encourager à s’engager dans la vie publique.
Je ne prétends pas être en situation de présenter ici d’autres pistes élaborées. Je me contenterai d’une suggestion générale qui peut sembler naïve : au-delà des mesures particulières, qu’il convient de peser soigneusement avec le souci de ne pas compliquer excessivement notre paysage institutionnel, un meilleur éclairage des ingénieurs par les politiques repose sur un effort quotidien de compréhension et d’adaptation mutuelles: il revient aux politiques de penser à davantage écouter et consulter les ingénieurs, aux ingénieurs de prendre la peine d’exprimer, toujours rigoureusement mais aussi rapidement et simplement que possible, leur réponse même s’ils la jugent imparfaite aux problèmes qui leur sont soumis ou qu’ils perçoivent. La participation à des stages communs, par exemple dans le cadre de l’institution qui vient d’être évoquée, favoriserait certainement un tel rapprochement.
A cet égard, j’ose souligner que les comités sectoriels des ingénieurs et scientifiques de France me paraissent des enceintes appropriées, parmi d’autres, pour élaborer des éclairages utiles. En effet, ils rassemblent des bénévoles souvent expérimentés, de cultures et d’expériences variées, pour de libres échanges dans une situation de relative indépendance par rapport aux intérêts d’acteurs particuliers, légitimes mais susceptibles d’entraver l’impartialité des conclusions.

Références :

(1) Face aux défis du XXI siècle les Propositions et Recommandations des Ingénieurs et Scientifiques de France,
(2) Fonctionnaire de France, un ingénieur en administration, Jacques Bongrand, Les 3 colonnes, 2021.
(3) Des ingénieurs pour bâtir la défense de l’avenir, cahier IESF n°26,
(4) Les chemins de la défense, Jacques Bongrand, France-Empire, 2006.

Jacques Bongrand

Ingénieur général de l’armement (2S)
Jacques Bongrand, polytechnicien, a notamment été conseiller du ministre de la Défense, sous-directeur technique du renseignement militaire et chef du service des recherches d’armement. Il a également présidé l’Organisation pour la recherche et la technologie de l’OTAN et dirigé deux agences de soutien à l’innovation, l’une nationale et l’autre en Lorraine. Il anime les comités sectoriels de la Société des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) et coordonne les Groupes de réflexion d’Athéna de 3AED-IHEDN.
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